"Wild" & "Still Alice" (Etude comparée)
- Guillaume Brunet
- 7 févr. 2015
- 10 min de lecture
La trame des deux films
Le premier film Wild, réalisé par le décidément très talentueux Jean Marc Vallée ( Dallas Buyers Club,2014), retrace le parcours de Cheryl Strayed ( Reese Witherspoon). Cette femme qui, après plusieurs années d’errance, d’addiction et l’échec de son couple, prend une décision radicale : tourner le dos à son passé et, sans aucune expérience, se lancer dans un périple en solitaire de 1700 kilomètres, à pied, avec pour seule compagnie le souvenir de sa mère disparue ( Laura Dern). Pendant son parcours Cheryl va affronter ses plus grandes peurs, approcher ses limites, frôler la folie et finir par découvrir sa force.
Still Alice, aborde quant à lui un sujet beaucoup plus douloureux. Le docteur Alice Howland ( Julianne Moore) a réussi à peu près tout dans sa vie : une brillante carrière, des cours de linguistique donnés dans le prestigieux établissement UCLA en passant par son mariage avec le docteur John Howland (Alec Baldwin) qui l'aime et lui a donné trois beaux enfants. Un jour, Alice au cours d'une conférence commence à perdre ses mots et s'inquiète. Après une visite de routine chez le médecin, le constat est sans appel, une dégénérescence des cellules du cerveau lui fera perdre progressivement la mémoire, malgré son jeune âge. Un combat de tous les instants contre la maladie d'Alzheimer va alors s'initier chez Alice afin de conserver sa dignité, son charisme , son amour pour sa famille et pour tout ce qu'elle a bâti au cours de son existence.
Deux femmes, deux quêtes
Pourquoi comparer les deux films ?
L'approche consiste ici à souligner les traits de caractère communs des deux personnages. Leurs conflits primaires se transformant en une décision radicale pour l'une, en un combat incessant pour l'autre. Dans les deux cas de figure, il s'agit de la lutte contre soi mais à des degrés différents. Bien sûr Alice ne choisit à aucun moment d'affronter une maladie à l'inexorable dénouement ; là où Cheryl est constamment maîtresse de son destin et possède toutes les cartes en mains pour, soit annuler son choix, soit le parfaire. Cependant, les deux chemins qui se dressent sur la route des deux femmes sont comparables dans le sens où opère chez elles, ce que Spinoza appelait la mutation du Désir. Provoquée chez l'une et subie chez l'autre. Ces mutations progressives amènent à repenser complètement le sens de l'existence de chacun des personnages.
"Leurs conflits primaires se transformant en une décision radicale pour l'une, en un combat incessant pour l'autre."

Cheryl Strayed mène une vie chaotique pendant une bonne partie de son adolescence jusqu'à un certain âge adulte, lorsqu'elle se marie pour le meilleur mais surtout le pire. Drogue, débauche de sexe et d'alcool, Cheryl souhaite simplement tout essayer. Jean Marc Vallée par le jeu habile de son récit nous montre pour quelle raison au fur et à mesure du déroulement du film Cheryl souhaite délibérément se perdre. C'est le thème du deuil qui, ici , est abordé. Cheryl a été éduquée par sa mère dans une ville de l'Amérique profonde avec son plus jeune frère. Son père, alcoolique battait sa mère, et cette dernière tenait le coup. Jusqu'au jour où le coup de trop fait basculer la famille et éloigne le père. La force de Cheryl est transmise par sa mère qui malgré les ecchymoses se permet de danser, de rire, de tout simplement dire non aux chocs répétés de son existence. A noter l'extraordinaire prestation de Laura Dern ( Un Monde Parfait, Jurassic Park) dans le rôle de la mère de Cheryl Strayed. Lors d'une scène de confrontation entre les deux personnages, Cheryl se plaint de la servitude volontaire de sa mère , elle qui prépare le dîner, s'occupe de toutes les tâches ingrates de la maison tout en travaillant, alors qu'elle est une femme passionnée aspirant à une existence gratifiante. Les arguments de Cheryl sont recevables mais sa mère lui rétorque la joie de vivre, ce choix courageux de ne pas rendre les coups et de continuer à sourire. Cette scène est cruciale car elle sera la motivation de Cheryl au cours de ses 1700 kilomètres parcourus, plus tard. Lorsque la mère de Cheryl meurt d'un cancer foudroyant, la vie de Cheryl ne tient plus. Son mariage s'égare en tromperies incessantes, en relations sexuelles dégradantes pour mieux s'échapper à soi même ; s'ensuit la drogue et l'alcool. A cette croisée des chemins, Cheryl décide de mettre un terme à sa vie. Un suicide moral en quelque sorte. Divorcer, acheter un matériel de randonnée et décider de parcourir toute la Californie. Pour cela, Cheryl achète un sac de randonnée qui très certainement pèse au moins deux fois son poids ( la séquence de la préparation du sac est très révélatrice). Comme un chemin de croix, Cheryl va purger tous ses pêchés, chasser ses démons avec le poids de sa vie antérieure pour parvenir finalement à se décharger peu à peu des éléments futiles de son existence. Au cours de son périple, elle rencontrera un vieil homme ,sage tenancier d'un refuge ,qui la mettra face à ses contradiction et aux inutiles poids que constituent son sac de randonnée. Un symbole dans le film sur la possibilité de se débarrasser de ce qui nous encombre, du superflu, du matériel. Bien sûr, cette approche avait déjà été abordée dans Into the Wild ( Sean Penn, 2010), mais sur un ton beaucoup plus revendicatif (les billets brûlés, les personnes laissées sur son chemin). Dans Wild, le propos est plus léger, et en fin de compte, le personnage de Cheryl Strayed nous est plus sympathique que celui d'Into the Wild.
Une des idées brillantes du film également est de retracer le parcours de Cheryl grâce à des chansons et des artistes profondément ancrés dans la culture musicale indépendante américaine, surtout dans le rock avec des hommages appuyés à Jerry Garcia des Grateful Dead, Bruce Springsteen, Stevie Ray Vaughan ou encore Simon and Garfunkel ; dont la chanson "El condor pasa" imprime sa marque tout au long du récit. Ses artistes jouent le rôle d'accompagnateurs de la quête de Cheryl, liés par des citations que l'héroïne décide de s'approprier en les réécrivant dans les livres d'or entreposés dans les différents refuges.
Comment Still Alice, avec un sujet aussi différent, peut-il alors laisser entrevoir des analogies et des points de comparaison ?
Revenons au sujet principal qui est celui du chemin, de la quête, choisie et subie. Est-elle toujours réellement choisie pour commencer? Cheryl n'est pas totalement dans une démarche de libre arbitre, comme nous l'avons vu puisque c'est le deuil qui la motive. Dans le cas d'Alice, c'est un diagnostic implacable qui l'amènera à reconsidérer sa vie. Le point de vue du réalisateur Richard Glatzer est avant tout celui d'un malade car lui-même est atteint, non pas de la maladie d'Alzheimer, mais d'une forme de sclérose qui lui a enlevé la capacité de parler. La plupart des directives de metteur en scène furent donc transmises à l'aide d'un iPad. Cette précision est importante dans la mesure où le point de vue du film en devient toujours objectif, empathique sans jamais être misérabiliste. Car le risque était très grand avec Still Alice de tomber dans la facilité sur le sujet mais Glatzer, grâce à une mise en scène sobre et une direction d'acteurs exemplaire parvient à déjouer tous les pièges.
"Le chemin d'Alice donc, est celui de la lutte. La lutte contre la destruction de tout ce qu'elle a bâti."

Le chemin d'Alice donc, est celui de la lutte. La lutte contre la destruction de tout ce qu'elle a bâti. Pour cela, elle utilisera une méthodologie, ayant recours (comme le réalisateur) à la technologie dans un premier temps. L'idée est de se remémorer tous les mots en utilisant des applications ou encore même en se filmant elle-même afin de garder le contact avec le réel. Alice pense même au pire des cas, en vue de la perte totale de mémoire, à se filmer en expliquant à une future elle-même comment retrouver des cachets enfouis dans un tiroir afin de les avaler et s'endormir progressivement. Vient alors cette scène, terrible, où lors de l'état avancé de sa maladie, elle même retombe sur la vidéo soigneusement gardée dans son ordinateur. Alice explique comment en finir et au moment d'avaler tous les cachets après les avoir retrouvés, son aide soignante fait miraculeusement irruption dans la maison pour empêcher le funeste destin. Le dossier dans lequel se trouve la vidéo est nommé "Butterfly" par l'héroïne. La métaphore du papillon est expliquée dans le film lors d'un dialogue avec sa fille ; Alice, petite fille, avait été très atteinte par l'explication de l'une de ses maîtresses sur la durée de vie du papillon, n'étant que d'un mois. Allusion tragique à la maladie.
Le chemin d'Alice est partagé par les membres de sa famille. Ces seconds rôles sont primordiaux dans le récit de Still Alice. Tout d'abord le personnage de son mari, le docteur John Howland (Alec Baldwin, très juste), qui accompagne sa femme sur la route de la maladie avec patience et humilité. Ce personnage est touchant dans son impuissance. Malgré tous ses diplômes, il ne peut sauver sa propre femme. Ici, c'est toute la perversité de la maladie d'Alzheimer qui est mise en lumière. Les scènes où Alice lui fait répéter plusieurs fois des dates, des rendez-vous ou des événements basiques sont très réalistes. Il n'y a rien d'autre qui puisse être fait face à cette maladie sournoise, à part patienter et accompagner. Sachant que l'écoute n'est plus une option puisque les conditions de la conversation ne sont plus réunies. Le réalisateur Richard Glatzer décrit parfaitement cet aspect intraitable de la maladie d'Alzheimer par cette impuissance justement, des êtres qui nous sont le plus chers. Lors d'un débat avec son mari, le spectateur en viendra même à concorder avec le personnage principal lorsqu'elle dit préférer avoir un cancer plutôt qu'Alzheimer afin de garder son intégrité. La mort de l'esprit face à celle du corps, vaste sujet.

Une scène, superbe, vient renforcer ce propos. Alice et John sont en train de manger tous les deux une glace dans l'établissement préféré de la malade ; pendant ce moment de tendresse partagée, le personnage d'Alec Baldwin en vient à demander à sa femme si elle reconnaît le bâtiment en face qu'il pointe du doigt. Alice ne sait pas répondre. John lui explique que c'est l'université où elle a enseigné pendant toutes ces années.
Sur les trois enfants d'Alice, une personnalité se détache, celle de Lydia la dernière des trois enfants ( interprétée par la prometteuse Kirsten Stewart). Lydia est une actrice de talent qui cherche sa voie dans la sphère hollywoodienne. De contacts d'agents en passant par des représentations théâtrales de haut niveau, une belle carrière semble s'ouvrir à elle. Sa personnalité s'inscrit toujours en porte à faux tout au long du film, d'abord avec ses parents qui préféreraient la voir emprunter un chemin étudiant plus classique , là où les deux premiers enfants ont été plus studieux et ont fondé des foyers biens sous tous rapports.
A l'heure de la maladie, les âme se révèlent, là où les deux premiers enfants font preuve de réactions compassionnelles compréhensibles, Lydia ,elle, est toujours dans la même relation avec sa mère. Cette dernière cherche constamment à garder le contact avec Alice sur les fondamentaux. Elle finira par s'installer avec elle dans un appartement New Yorkais pour s'occuper de sa mère. Pendant que John acceptera un poste de très haut niveau dans une clinique de Chicago. Lydia préfère sa mère à sa carrière, bien que les planches de Broadway lui tendent les bras. Los Angeles n'est plus une option. Cette authenticité du personnage est vraiment touchante.
Deux films féministes sans arrières pensées
L'idée de comparer Still Alice et Wild est de dresser une constante entre les deux films. Qu'est-ce qui nous est enseigné à travers ces deux films ? Pas seulement que les aléas de la vie nous amènent à faire des choix, mais aussi le refus, la négation de l'inexorable sur la route de l'acceptation de soi. En ce sens, nous pouvons dire que les deux films sont féministes.

"Les deux films ne tombent jamais dans la démarche tentante de montrer la femme écrasant l'homme."
D'abord car ils mettent en situation deux femmes intègres, deux représentations féminines loin d'être caricaturales dans le sens où ces schémas sont peu abordés à Hollywood. Deux représentations qui par ailleurs, devraient assurer à l'une ou à l'autre une statuette dorée courant mars prochain. Par analogie, ces deux rôles de femme s'inscrivent profondément dans la lignée d'un Thelma et Louise par exemple ( Ridley Scott,1985) ; surtout dans le cas de Wild, où ce personnage s'affirme tout au long du film et aussi malgré tout face à une certains clichés masculins : les femmes ne peuvent pas faire 1700 kilomètres avec un sac à dos chargé, les femmes ne peuvent pas supporter le froid polaire des montagnes, ou simplement subsister en cas de conditions extrêmes. Wild déconstruit subtilement tous ces clichés tout au long du récit.
Dans le cas de Still Alice le mécanisme est différent mais complémentaire. Alice est une femme en situation de réussite, une brillante professeur qui enseigne à UCLA, écoutée par ses étudiants et respectée dans son domaine. Sa maladie subite n'affectera en rien son intégrité puisque même en situation de perte de mémoire elle saura trouver les mots ; notamment au cours de la scène où elle se livre à l'aide de ses notes devant une assemblée acquise à sa cause. Les avis des autres n'y changeront rien. Alice se battra jusqu'au bout sans jamais rien accepter de ce que la maladie lui impose. Du moins tant que sa conscience lui permettra.
Deux films féministes donc, mais sans arrière pensée. En effet les deux films ne tombent jamais dans la démarche tentante de montrer la femme écrasant l'homme, la femme victime des hommes qui finit par être castratrice. Si ces cas de figure peuvent bien souvent se révéler réels (notamment la violence faite aux femmes), Wild et Still Alice choisissent de montrer des caractères affirmés. Toujours en proposition et jamais en réaction face aux embûches de la vie. Leurs personnalités s'imposent d'elles mêmes et sans avoir besoin d'en rajouter dans la revendication. Par exemple, au cours du sentier parcouru par Cheryl, cette dernière apprend par le biais d'une amie qu'un homme rencontré plus tôt dans la narration, lui aussi randonneur, a abandonné le Pacific Trail à cause de la neige et du froid. Au lieu de tomber dans la sensiblerie, Jean Marc Vallée filme une belle scène où Cheryl trinque avec son amie en l'honneur de son courage, en l'honneur d'un combat qui paraissait perdu d'avance tant son sac était lourd, tant les pas paraissaient durs à enchaîner. L'acceptation de soi ici est subtilement mise en lumière, loin des tentations idéologiques.
De même, Still Alice, par le parcours de son personnage principal ne se contente pas de mettre en parallèle la force féminine et la faiblesse du mari d'un autre côté. Le mari d'Alice met tout en oeuvre pour protéger sa femme et fait preuve de patience, malgré la résignation finale au détriment de Lydia. Ses mots prononcés à sa fille, désintéressée contrairement aux autres, sont sincères et beaux : " tu es la meilleure d'entre nous".
Wild s'ouvre sur un refus. Après la chaussure jetée avec rage du haut de sa montagne et alors que la situation paraît désespérée, Cheryl Strayed se battra jusqu'au bout. Sur son chemin elle rencontrera une grand mère qui, avec son petit fils, lui servira de guide. Ce garçonnet haut comme trois pommes lui chantera des paroles qui finiront par la mettre à genoux mais lui donneront l'envie d'entamer un nouveau chemin, celui de la maternité qu'elle décrira en voix off dans les toutes dernières images du film. La scène finale de Still Alice, quant à elle, rend hommage au combat entrepris par le personnage principal tout au long du film. Après la lecture d'un poème de Lydia à sa mère, la jeune fille parvient à transmettre l'essence profonde du texte en lui posant une simple question "de quoi cela parle-t-il?", Alice dans sa torpeur finira par prononcer le maître mot, celui qui rassemble, y compris face à une maladie incurable : "l'Amour" . Par Guillaume Brunet.
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