Martin Scorsese est-il raciste ?
- Guillaume Brunet
- 21 oct. 2015
- 4 min de lecture

En marge de l’exposition consacrée au maître italo-américain , en ce moment à la cinémathèque de Paris, une effervescence médiatique autour des films de Martin Scorsese refait surface. Arte notamment y consacre un cycle avec un rediffusion massive de ses films mais aussi ses documentaires. C’est donc pour la 800ème fois que nous avons revu « Les Affranchis » (1990), dimanche soir sur la chaîne franco-allemande.
En cours de visionnage, une réflexion nous taraude soudainement : Martin Scorsese a-t-il déjà donné un rôle important à un acteur afro-américain ? nous cherchons dans les tréfonds de sa filmographie, des premiers films « Who’s that knocking at my door » (1967), en passant par la période New-Yorkaise, les films avec De Niro ou encore les récents avec Di Caprio. Rien. Nous ne trouvons aucun rôle de renom pour Denzel Washington, Danny Glover ou encore Morgan Freeman. Y compris chez les seconds couteaux. C’est d’ailleurs le personnage de Stacks dans « Les Affranchis » qui nous met la puce à l’oreille puisque lors de l'apparition de Samuel L.Jackson à l’écran, tout le monde tombe de sa chaise : « ah mai c’est vrai il joue dans ce film ! ». Or, avec le recul, le personnage est un vulgaire chauffeur membre de l’équipe de la Lufthansa, responsable du « casse du siècle ». Stacks donc, se fait repasser en premier par Joe Pesci lorsque Jimmy Conway, incarné par Bob De Niro, décide d’envoyer toute sa troupe à la morgue. C’est bien évidemment un détail, mais la faible présence de celui qui sera des années plus tard l'interprète mythique de Jules Winnfield ("Pulp Fiction",1994) ne manque pas de nous marquer et de nous questionner. Des querelles de cinéastes par le passé Notre esprit polémique continue d’enfler. Les critiques formulées par Spike Lee à l’égard de Tarantino pendant la sortie de « Django Unchained » (2013) nous reviennent à l'esprit. Le réalisateur de "Do the right thing" (1989) n'avait-il pas condamné le western spaghetti du cinéphage, en l'accusant d'avoir tourné l'esclavage en dérision. Seulement voilà, "Django Unchained" est un grand film sur cette période noire de l'Histoire en utilisant le contexte comme toile de fond certes, mais avec une vraie évocation épique du sujet, jamais complaisante. Une pointe de jalousie du supporter des Knicks serait-elle la raison d'une telle accusation? nous sommes en droit de le penser. De même que Spike Lee a reproché à Clint Eastwood de ne pas avoir suffisamment montré de soldats noir dans son diptyque sur la guerre du Pacifique, il convient de pointer du doigt cette injustice, tant nous savons à quel point Eastwood a donné ses plus grands rôles à Morgan Freeman ("Unforgiven"1994,"Invictus" 2010) sans que personne ne s'interroge sur la place des acteurs noirs dans la filmographie de Martin Scorsese. Faites l'exercice de trouver un rôle significatif, vous ne trouverez guère que Ving Rhames dans "Bringing Out the Dead" (1999) et encore, en sous second rôle. Loin de nous l'idée de condamner maître Scorsese mais Quentin Tarantino a sans doute offert le meilleur rôle de "Pulp Fiction" (1994) à Samuel L. Jackson, Clint Eastwood a permis à Forrest Withaker d'incarner brillamment Charlie Parker ( "Bird", 1988) et même Spike Lee, cet as du paradoxe, a rendu Edward Norton inoubliable dans "La 25ème heure" (2002) . Les accusations de Mr Spike Lee sont-elles donc adressées au bon réalisateur ? Séparer le prescripteur du descripteur Darwin était de gauche, peu adepte de sa propre théorie sur la sélection naturelle reprise par des factions d’extrême droite. Georges Orwell qui décrit l'automatisation du travail dans "1984" était un fervent défenseur des droits des ouvriers et dénonciateur du totalitarisme. De toute évidence il faut savoir séparer la description de la prescription. Martin Scorsese n'est pas un idéologue racialiste, et il ne le sera jamais. En revanche c'est un artiste attiré par les faiblesses humaines, les gloires déchues. Le personnage scorsesien est apolitique, areligieux et sans couleur de peau. Pourtant Scorsese n'a eu de cesse de montrer dans sa filmographie des personnages communautaristes, qui ne se mélangent pas , voire fortement racistes. Comme dans cette scène des " Affranchis » où la copine de Joe Pesci dit qu’elle aimerait bien coucher avec Nat King Cole avant de se faire reprendre par le gangster ( « il ne faut pas dire des choses pareilles »). Ou encore lorsque Henry dit à Karen que "les seuls qui se font arrêter par la police sont les nègres, car pendant un casse celui qui est chargé de faire le guet s'endort au volant". Nous pourrions penser également au personnage de Bill Le Boucher de "Gangs of New York" (2003), véritable Eric Zemmour avec des couteaux et des muscles. Ce xénophobe américain de souche qui jette des tomates pourries et des poignards aux migrants débarquant des bateaux d'Ellis Island. Ou encore les élucubrations en voix-off, plus que douteuses , de Travis Bickle dans "Taxi Driver"(1976) déblatérant sur « les nègres » de New-York responsables de tous les maux (le trafic de drogue, la délinquance, la prostitution) . Nous pourrions dire la même chose des personnages de Brian De Palma ou encore Francis Ford Coppola dans certains films de gangsters mythiques ( "Le Parrain" ou "Scarface") mais l'impression générale n'est pas du même ordre. Il ne s’agit pas de faire un faux procès au cinéaste italo-américain, mais seulement de constater un inconscient cinématographique jamais démenti au cours de sa prodigieuse filmographie. Peut-être qu’un héros afro-américain ne l’intéresse pas après tout, et par ailleurs il en aurait tout à fait le droit. Chez lui, les traders restent entre eux, les gangsters aussi, et ils sont toujours blancs. Reste Sugar Ray Robinson, celui qui démolit De Niro sur un ring dans "Raging Bull" (1980). Encore un personnage qui n’est pas suffisamment développé et ne vient pas contredire notre théorie. Martin Scorsese n'a eu de cesse de décrire des racistes donc mais de là à dire qu’il prescrive sa description, il y a un monde.
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